Derek Beaumont : « Toulouse est la seule vraie alternative viable à notre projet »
Alors que son club postule pour la douzième place en Super League, nous avons échangé avec Derek Beaumont, président de Leigh Centurions. Sa candidature à la Super League, le recrutement, la crise sanitaire, le Toulouse Olympique ou encore le rugby à XIII français, l’homme fort des Centurions a répondu à toutes nos questions.
Derek, pouvez-vous vous présenter aux fans français qui ne vous connaîtraient pas ?
Je pense que certains fans français se souviendront peut-être de moi et de notre visite à Toulouse en 2018, où j’ai pris la parole sur scène aux côtés du président Bernard Sarrazain, avec mon français plutôt basique. Certains se souviendront peut-être aussi de mon interview de fin de match lors du Million Pound Game perdu contre les Dragons Catalans, lors de notre relégation. Je viens d’une famille monoparentale avec deux frères et nous vivions dans un HLM. Cela m’a permis de faire de moi quelqu’un de tenace à la fois mentalement et physiquement. J’ai testé beaucoup de sports étant jeune et c’est ainsi que je me suis intéressé au rugby à l’école primaire et ai continué à y jouer en passant au collège. J’ai également joué pour une équipe locale appelée les Bedford Recks. Quand j’avais 14 ans, j’ai dû déménager dans une autre école qui n’était pas vraiment portée sur le rugby et j’ai donc dû arrêter de jouer. Cependant, mon école précédente m’a demandé de partir en tournée avec eux dans le sud de la France quand j’avais 16 ans. Nous avons affronté Limoux et Carcassonne dans une triangulaire, la finale opposant mon école de St Mary’s à Limoux. Durant cette rencontre, je me suis cassé le petit doigt et j’ai dû être opéré. Cela a pris plusieurs mois et je n’ai plus jamais joué au rugby.
J’ai vraiment apprécié ce séjour en France et mon français s’est amélioré pendant cette période. Je me souviens que les Français étaient très physiques et beaucoup plus grands que nous. Nous étions presque sûrs qu’ils étaient plus âgés, mais tout le monde dit ça lors des rencontres internationales amicales ! À partir de ce moment, j’ai suivi mon équipe de Leigh plus régulièrement. Finalement je suis devenu sponsor maillot puis j’ai pris la relève dans un consortium en 2003 et nous avons été promus en fin de saison 2004 pour accéder à la saison 2005 de Super League. J’ai quitté le club à ce moment-là avant de revenir en 2013. Professionnellement, je dirige une entreprise à succès de production et construction de terrasses (AB Sundecks) notamment pour mobile home, partout dans le Royaume-Uni. Nous travaillons aussi un peu en France et dans le reste de l’Europe. D’ailleurs, nous étions en train de créer une branche française grâce à Caroline Pelissier, l’épouse d’Eloi, mais le projet s’est stoppé avec son déménagement à Londres. L’un des moments forts de mon année en Super League a été les deux déplacements aux Dragons Catalans. L’ambiance était super et les gens étaient très sympathiques, nos supporters ont adoré l’expérience.
Quel regard portez-vous sur les deux dernières années de votre club d’un point de vue sportif ?
Nous avons donc dû lancer un processus de reconstruction de l’équipe et du staff l’année suivante à un niveau beaucoup plus bas. John Duffy a réalisé un excellent travail avec des joueurs locaux qui nous a permis de terminer à la quatrième place, ce qui nous a redonné de l’appétit. Vers la fin de cette année-là, j’avais commencé à recruter en vue de la saison 2020 afin de gagner notre place en Super League. La saison avait bien commencé et j’étais convaincu que nous avions un assez bon effectif pour gagner la compétition, je m’étais engagé et j’étais prêt s’il le fallait, à faire tout ce qui était nécessaire durant la saison pour nous en assurer. Je voyais Toulouse comme les challengers les plus importants avec Featherstone Rovers. Notre défaite en Cup à la dernière seconde contre Hull KR après avoir joué pendant 20 minutes avec douze hommes m’a donné encore plus confiance, mais avec la pandémie de Covid-19, cela s’est avéré être notre dernier match. C’est très frustrant car nous ne saurons jamais comment cette équipe là aurait pu terminer la saison.
À quel point la crise sanitaire a affecté les Leigh Centurions ?
De même que tous les grands clubs de cette division, nous avons été particulièrement touchés. De nombreux clubs ont réussi à couvrir les salaires avec le programme de maintien de l’emploi du gouvernement. Cependant, avec un maximum de 2 500£ par mois, qui a encore diminué en septembre et octobre, il ne couvrait pas la grande majorité de nos salaires. Heureusement, 90% de nos fidèles abonnés et sponsors n’ont pas réclamé de remboursement, de sorte que le club est resté dans une situation financière saine. Le problème sera plus important d’ici mars, car le régime ne couvre pas les nouveaux employés. De fait, le salaire de toutes les nouvelles recrues ne seront pas pris en charge dans ce programme. Cependant, nous avons confiance en la RFL et dans les autres clubs de Championship afin que tout soit mis en place, même avec des rencontres à huis clos, afin que nous puissions démarrer la saison au mois de mars.
Vous postulez à la 12ème place de Super League, pourquoi votre dossier est meilleur que les autres ?
Je ne pense pas nécessairement que ma candidature soit meilleure que les autres car je n’ai pas les informations des autres clubs. Je ne peux donc me concentrer que sur les points forts de ma candidature et les informations déjà visibles des autres offres, comme les effectifs pour la saison prochaine. Je pense que tout le monde a des arguments solides et qu’ils auront des atouts dans différents domaines par rapport aux autres. Je pense que la partie la plus importante est la capacité à être compétitif en Super League et d’être en mesure de démontrer que l’ont aura assez d’argent pour faire face à l’éventualité de devoir jouer toutes ces rencontres à huis clos pour ne pas se retrouver comme cette année avec un club promu qui soit obligé de se retirer en cours de saison.
Notre effectif compte actuellement 23 joueurs, bientôt 25 (deux joueurs n’ont pas encore été annoncés car ils n’ont pas terminé leurs saisons avec leur équipe). Chaque joueur a une expérience en Super League ou en NRL avec un certain nombre de sélections internationales, je pense que cela parle de lui-même en terme de qualité d’effectif. Je pense que Toulouse a un effectif qui n’aurait pas besoin de beaucoup de changement pour être compétitif en Super League, contrairement aux autres candidats qui devront faire un certain nombre de changements et je ne vois pas un grand nombre de joueurs actuellement sur le marché pour réaliser ce recrutement. Notre club est extrêmement sain financièrement et dégage un bon bénéfice par rapport à l’année dernière, contrairement à 2017 où nous étions proche du Salary Cap, ce qui peut ne pas être une bonne solution. Nous avons déjà fait nos preuves en terme d’affluence en Super League où nous n’étions pas en bas du classement des affluences avec une moyenne de 6500 spectateurs à domicile et 1500 fans qui nous suivaient lors de nos rencontres à l’extérieur. Nous avons également bien contribué à faire avancer le mouvement lors des réunions et je crois que nous avons été un ajout positif à la compétition. Concernant l’aspect financier, j’ai beaucoup d’argent disponible pour démontrer que je peux autofinancer le club à ce niveau, même sans spectateurs ou même sans le million de £ de droits TV redistribué. Nous sommes une valeur financière totalement sûre.
Nos installations parlent d’elles-mêmes puisqu’elles ont été sélectionnées pour la Coupe du Monde prévue l’année prochaine et ont déjà accueilli des rencontres de ce niveau par le passé. Nous avons un partenariat exceptionnel avec le Leigh Sports Village et le conseil local soutien pleinement le club et sa candidature à la Super League. Je pense que notre seul défaut dans notre armure est notre emplacement qui ne suit pas le désir de développement car nous sommes situés à proximité d’autres clubs. C’est également le cas pour d’autres mais c’est un avantage pour les dossiers de Toulouse et de Londres, bien que ces derniers aient eu de nombreuses années d’opportunités qui ne se sont pas réellement montrées concluante. Au final, je pense que ce n’est pas vraiment un point très positif pour eux. Je crois que le sport veut voir un retour de Bradford et compte tenu de leur énorme base de fans et de leur histoire, je peux comprendre pourquoi, mais je pense que c’est trop tôt pour eux et qu’ils doivent grimper une montagne en très peu de temps entre leur recrutement et leur stade. Je crois que Bradford ferait mieux de se frayer un chemin grâce à une promotion afin qu’ils y parviennent avec une part de financement complète. Je crois que s’ils étaient choisis maintenant, cela pourrait leur causer beaucoup de tort. Bien que je pense que Toulouse soit une bonne option en terme de croissance de la concurrence en France et que ce soit un club solide, bien construit et géré avec une solide équipe, je ne pense pas que le contexte actuel lié à la pandémie soit le bon. La récente demande des Dragons Catalans qui visait au soutien du gouvernement français soulève des inquiétudes et bien qu’ils devraient être félicités pour avoir tenu leurs engagements à terminer la saison dans de telles conditions, ils sont évidemment venus avec des contraintes et il n’y a aucune certitude sur les autres restrictions qui pourraient être imposées en 2021. J’ai aussi des inquiétudes avec deux équipes françaises dans une compétition à douze équipes avec 1/6 de représentativité et 1/6 du financement quittant le pays. Les deux équipes professionnelles françaises seraient dans l’élite alors que seuls 10 des 36 clubs anglais le seraient. Je pense que nous aurions besoin d’au moins 14 équipes en Super League pour avoir deux clubs français, mais j’ai toujours pensé que le championnat devrait comporter 14 équipes. S’il y avait une expansion et que trois clubs devaient être ajoutés, je soutiendrais certainement une candidature de Toulouse dans ces circonstances. Si mon club ne devait pas être choisi, je serais en faveur de Toulouse, car ce serait une équipe solide à l’écart du Championship à affronter la saison prochaine.
Vous avez déjà effectué un gros recrutement pour 2021, le faites-vous en pensant Championship ou Super League ?
Mon recrutement pour cette année a toujours été basé pour le Championship et la plupart des joueurs ont même été recrutés avant la décision concernant Toronto et le futur ajout d’un club en remplacement. Comme je l’ai dit plus tôt, j’espérais être promu à l’issue de la saison régulière 2020 et je considère que cette saison 2021 est vraiment importante car c’est la fin de l’accord de diffusion actuel et nous avons des inquiétudes quant au maintien ou non du système de promotion et relégation à l’issue de cette renégociation. Il était donc important pour moi d’investir en vue de la montée avant la fin de cette échéance.
Aussi, bien que ce soit une tâche énorme, je voulais que nous ayons une chance de connaître une épopée en Challenge Cup, un peu à la manière de Salford, donc je voulais une équipe forte, capable de se focaliser sur cela. Le club a remporté la Cup en 1921 et 1971 (qui est l’année de ma naissance), donc ce serait un rêve devenu réalité que d’arriver en finale en 2021. Si ce n’est pas en Cup, cela pourrait aussi être en « 1895 Cup ». En tout cas, une journée à Wembley serait mémorable pour nous. Cela dit, lorsque vous bâtissez une équipe capable d’être championne, vous pensez également en même temps à la Super League, car lorsque vous êtes promu, vous ne voulez faire que quelques changements pour avoir une équipe encore un peu plus compétitive et non pas tout chambouler du jour au lendemain.
Si ce n’est pas vous qui êtes choisi, quel club aimeriez-vous voir sélectionné pour la Super League parmi les candidats ?
Je pense avoir répondu à cela dans mes réponses précédentes, mais d’un point de vue purement personnel, je voudrais que ce soit Toulouse afin que nous puissions gagner plus facilement le Championship et être promu en fin d’année, bien que Featherstone, entre autres, sera tout aussi redoutable et je sais par expérience à quel point il est dur de remporter ce championnat.
Si j’ôte mon chapeau de dirigeant de Leigh et que je le considère uniquement du point de vue des meilleurs intérêts du sport et de la façon dont je perçois les clubs sans en avoir toutes les informations, je pourrais affirmer que Londres était la dernière équipe reléguée, donc qu’ils ont le droit de revenir en Super League. Je pourrais également dire que Featherstone a perdu la dernière grande finale contre Toronto, c’est donc leur droit de prendre leur place. Cependant, et étant donné que ces circonstances ne sont pas prises en considération, elles ne constituent pas la base d’une décision. York m’intéresse, c’est un club très bien géré avec John Flatman à sa tête. Ils ont un nouveau stade, une base de fans croissante et une belle ville historique qui permet de s’éloigner de nos bases traditionnelles et serait un nouvel endroit à visiter pour les fans. Cela dit, je pense qu’il est encore trop tôt pour eux et qu’ils ne pourraient pas bâtir un effectif capable de rivaliser en si peu de temps. J’ai déjà mentionné les inconvénients par rapport aux avantages pour Bradford, donc honnêtement, je devrais revenir sur Toulouse au final qui est la seule vraie alternative viable à notre projet afin d’être compétitif en Super League, car cela doit être le facteur primordial dans ce choix.
Quel regard portez-vous sur le rugby à XIII français ?
Je pense que les Français sont très dynamiques et passionnés. Les joueurs français sont très physiques et coriaces. Les Anglais adorent se rendre en France pour voir leurs équipes y jouer et profiter du beau temps et de l’hospitalité des Français. Je pense que les Catalans ont très bien représenté le rugby français au fil des ans et qu’ils ont été compétitifs en Cup et en Super League. Ils ont également attiré des joueurs de très haut niveau. De même, Toulouse s’est toujours bien représenté et j’ai apprécié mes deux voyages là-bas, une fois lorsque nous avons perdu en Cup alors qu’ils jouaient une division en dessous de nous et l’autre fois en 2018.
Ma seule critique est que le voyage n’est pas réciproque, avec très peu de supporters qui viennent soutenir les équipes françaises lorsqu’elles se déplacent. Bien entendu, je comprends que cela ne sera jamais possible toutes les semaines, mais ce serait bien de voir plus de fans voyager dans leur ensemble tout au long de la saison, peut-être même juste pour un grand évènement comme lors du « Magic Week-end ». Avoir deux équipes françaises à un tel événement permettra peut être de motiver un peu plus les supporters à venir. L’avenir nous le dira mais si Leigh est sélectionné cette année pour intégrer la Super League, je pense que Toulouse remportera le championnat 2021 et sera promu à son tour de toute façon. Si Bradford est choisi et selon ma paranoïa ce sera le cas, je pense que ça sera très serré entre Toulouse et nous et l’équipe perdante sera la grande favorite pour l’exercice suivant et la promotion en fin d’année. Je pense que je ne prends pas de risques en disant que si ceux, quels qu’ils soient, qui financent le Toulouse Olympique restent fidèles, c’est juste une question de temps pour qu’ils accèdent à la Super League.